Dire que Friedensreich Hundertwasser a voulu abolir les frontières entre l’art et la nature n’est pas une provocation gratuite. Chez cet artiste autrichien du XXe siècle, chaque œuvre vibre sous l’influence du vivant. Formes organiques, couleurs éclatantes, compositions sans la moindre concession à la géométrie stricte : la nature n’est pas un décor, elle est le socle et la matière première de sa démarche. Selon lui, toute création doit s’accorder avec les lois du vivant, jusqu’à se fondre pleinement dans son environnement.
Ses constructions ne se contentent pas de surprendre l’œil. Prenons la Hundertwasserhaus à Vienne : toits couverts de végétation, façades ondulées, arbres qui jaillissent des fenêtres. On n’est plus dans la simple architecture, mais dans une alliance concrète entre habitat humain et écosystème. Le bâti devient alors un lieu qui respire, accueille le vivant et invite à repenser la ville.
Hundertwasser : un artiste visionnaire
Natif de Vienne, Friedensreich Hundertwasser a bouleversé l’art contemporain et l’architecture par son refus assumé de la ligne droite et son rejet des conventions. Inspiré par Egon Schiele, qu’il voyait comme une figure tutélaire, il a porté un regard critique sur l’urbanisme traditionnel. Pierre Restany, critique d’art réputé, a souligné à quel point Hundertwasser a devancé son époque en initiant une architecture soucieuse de l’environnement.
Une vision unique de l’art et de l’architecture
Installé un temps en Nouvelle-Zélande, Hundertwasser a forgé une philosophie artistique ancrée dans le respect du vivant. Ses réalisations emblématiques, telles que la Hundertwasserhaus à Vienne ou la Spirale de Darmstadt, illustrent ce parti pris radical : ici, l’arbre n’est pas relégué à la cour d’école, il s’invite en pleine façade, dialogue avec la brique et le béton. À travers ces projets, il a montré qu’un bâtiment pouvait devenir un écosystème en soi.
Quelques exemples phares permettent de saisir cette démarche singulière :
- Hundertwasserhaus : Un ensemble de logements collectifs à Vienne, où la nature s’invite à chaque étage.
- Darmstadt Spirale : Un projet de 150 logements à Darmstadt, conçu comme une spirale végétale.
- Halte-garderie Heddernheim : Une garderie à Francfort, pensée pour favoriser le lien avec la nature dès le plus jeune âge.
- Ronald McDonaldhaus : Une maison d’accueil pour parents d’enfants hospitalisés à Essen, qui offre un environnement apaisant et verdoyant.
Engagement écologique et humaniste
L’influence de Hundertwasser ne se limite pas aux formes architecturales. Il a pris la plume à plusieurs reprises pour défendre ses convictions, notamment dans des manifestes écrits dès 1990. Opposé à l’énergie nucléaire, « l’énergie nucléaire est un jouet dangereux », affirmait-il,, il a milité pour une société qui réduise ses déchets, croyant à la possibilité d’un monde où rien ne serait perdu inutilement. Certaines de ses idées se sont matérialisées de façon très concrète : conception de toilettes publiques écologiques, promotion d’une ville reboisée, participation à la plantation de plus de 100 000 arbres. Chez lui, l’activisme ne restait pas lettre morte, il s’incarnait dans les gestes du quotidien.
La fusion de l’art et de la nature dans ses œuvres
Ce qui frappe chez Friedensreich Hundertwasser, c’est la manière dont ses bâtiments et œuvres plastiques s’enracinent littéralement dans le vivant. L’harmonie entre l’homme et son environnement, il ne l’a pas rêvée : il l’a construite pierre après pierre, branche après branche.
La Hundertwasserhaus à Vienne incarne cet idéal. Derrière ses façades bariolées, ce complexe d’habitations accueille non seulement des familles, mais aussi des « arbres locataires » intégrés à la structure même. Une cohabitation tangible, qui montre que l’habitat peut devenir un espace partagé avec le végétal.
Les œuvres majeures
Plusieurs réalisations emblématiques illustrent cette philosophie :
- Darmstadt Spirale : Un ensemble résidentiel conçu en spirale, avec pour chaque appartement un espace vert dédié.
- Halte-garderie Heddernheim : À Francfort, les enfants grandissent dans un environnement où la nature occupe une place centrale.
- Ronald McDonaldhaus : À Essen, cette maison offre aux familles un cadre apaisant, véritable bulle de verdure au cœur de la ville.
Le Kunst Haus Wien, musée consacré à son travail, rend hommage à cette approche. Ici, l’art se vit comme une expérience immersive, entre murs végétalisés et jardins suspendus. Hundertwasser y a démontré qu’un musée lui-même pouvait devenir un organisme vivant.
Côté peinture, le tableau Fin des eaux (1979) met en scène l’eau comme force vitale et source de transformation. Ce motif de la fluidité, omniprésent chez Hundertwasser, rappelle l’idée d’un monde en perpétuelle métamorphose, où l’art et la nature s’entrelacent sans fin.
L’héritage écologique et artistique de Hundertwasser
Difficile de mesurer l’empreinte laissée par Hundertwasser sur l’architecture écologique et l’art engagé. Dès ses débuts, il s’est insurgé contre la froideur des bâtiments classiques et a défendu la courbe, la couleur, la vie. À travers ses projets et ses écrits, il a ouvert des pistes audacieuses pour réinventer nos modes de vie urbains.
On estime qu’il a planté plus de 100 000 arbres au fil de son existence. Dans ses textes comme Pour une société sans déchet ou La folie du nettoyage, il appelle à une réflexion collective sur notre rapport aux ressources et à la production de déchets. Des idées concrètes ont vu le jour : il a conçu des toilettes publiques écologiques et proposé des alternatives au tout-jetable, bien avant que ces enjeux ne deviennent centraux dans le débat public.
En 1990, il a publié un manifeste sur le recyclage et le reboisement urbain. Ce texte, toujours d’actualité, invite à repenser la place de la nature en ville et à renouer avec un équilibre oublié. Hundertwasser s’est aussi dressé contre l’énergie nucléaire, dénonçant ses dangers et plaidant pour des choix plus respectueux du vivant. Son livre L’énergie nucléaire est un jouet dangereux reste une référence chez les militants écologistes.
Parmi ses innovations les plus marquantes, la toilette-humus occupe une place à part. Ce système de compostage des déchets humains n’est pas qu’une idée utopique : il incarne une volonté de créer des cycles autonomes, où l’homme ne se contente plus de consommer, mais participe à la régénération de son environnement. Une invitation, finalement, à regarder nos villes autrement et à inventer d’autres façons d’habiter la planète.
À observer les œuvres et les projets qu’il a laissés, on comprend que Hundertwasser n’a jamais cherché la simple nouveauté. Il a posé les bases d’un dialogue fécond entre l’art, l’architecture et la nature. Ceux qui traversent aujourd’hui la Hundertwasserhaus, ou s’arrêtent devant l’une de ses réalisations, ne peuvent qu’imaginer ce que nos villes pourraient devenir si l’on acceptait enfin de faire une place au vivant.
 
             
            
 
         
         
         
         
         
         
        